lundi 22 octobre 2012

Témoignage du Docteur BELLET


Hélène Bellet, retraitée de la Faculté de Médecine

JE NE SAIS PAS POURQUOI JE VAIS AU FELDENKRAIS , MAIS MON CERVEAU LE SAIT PROBABLEMENT

Hélène Bellet retraitée de la Faculté de Médecine (MCU-PH : Maître de Conférence des Universités – Praticien Hospitalier). En fait, après ma thèse à l’Institut du Radium, nous avons déménagé à Montpellier où je ne pouvais pas faire de physique nucléaire. Je me suis donc reconvertie à la biochimie médicale.

C’est à dessein que je plagie la phrase d’Alain PROCHIANTZ : « Je ne sais pas ce que pense mon cerveau, mais mon cerveau, lui, sait ce que je pense ». C’est dans cet esprit que je découvre la méthode Feldenkrais, je m’y aventure comme dans une jungle primaire obstruée par un réseau de lianes denses et enchevêtrées, que je démêle avec mes doigts (surtout pas de machette !) délicatement et prudemment pour me frayer un chemin. Je reste perplexe devant les sensations bizarres et incongrues qui me viennent au décours des exercices : cette jambe droite qui dépasse la gauche d’un bon pied, ce tapis qui prend les formes bombées d’un tonneau, ces membres dont les segments me semblent pliés en désordre comme ceux d’une araignée morte! La démarche est complexe, elle paraît plus intuitive que rationnelle, ce qui, au premier abord, peut susciter des réactions de doute et de scepticisme, et entrave la mise en place d’un vrai consensus.

Comment réfuter les critiques ? Une approche scientifique irréfutable serait de réaliser, sur le modèle de la « evidence-based medecine » américaine, des études randomisées en double insu pour chaque pathologie présumée curable par la méthode Feldenkrais. Ceci non seulement fait appel à des procédures lourdes et à des dépenses prohibitives, mais se heurte aussi, sur le plan pratique, à une condition irréalisable : le double insu nécessite l’utilisation d’un placebo. Par quel placebo remplacer une séance de Feldenkrais ?

Le problème se complique encore quand la méthode Feldenkrais s’adresse à des sujets sans désordre patent, qui cherchent simplement à rester en bonne santé et à préserver un bon équilibre global, physique et psychique. Il n’existe pas à l’heure actuelle de bonne méthode d’évaluation qui permettrait de valider la méthode Feldenkrais dans ce type d’application. Pourtant, même non validée parce que non validable, la méthode Feldenkrais est prise au sérieux. Pourquoi ?

Feldenkrais a imaginé une activité qui peut être classée, selon un jugement un peu hâtif, dans la catégorie des activités « introspectives » comme les diverses techniques de méditation et la prière, le yoga et d’autres techniques orientales, etc… qui à la fois libèrent des préoccupations matérielles immédiates et permettent de réaliser une sorte « d’état des lieux » du corps et de l’esprit. Mais contrairement aux activités citées, toutes sciemment orientées, dirigées, contrôlées, la méthode Feldenkrais reste en retrait quant aux objectifs. Elle consiste en une mise en situation qui permet, grâce à un animateur compétent, de rompre des habitudes viciées ou sclérosantes et d’initier des circuits neuronaux novateurs. Clairement, elle doit permettre au système nerveux central « de reprendre la main », probablement par des mécanismes voisins de modèles avérés comme ceux qui suivent :

- L’effet placebo. On connaît avec précision l’effet antalgique des placebos, qui est en fait dû à la sécrétion d’endorphines. D’autres moyens, souvent basés sur l’affectivité, peuvent aboutir exactement au même résultat. Or quoi de plus gratifiant qu’une séance de Feldenkrais pendant laquelle on se penche sur soi-même avec sollicitude, indulgence et bienveillance ? Il n’est pas irrationnel de penser que cette inspection longue et minutieuse puisse s’accompagner de modifications bénéfiques des concentrations de neurotransmetteurs, peptidiques ou autres.

- Les neurones miroirs. Regarder quelqu’un exécuter un geste qui est familier allume chez l’observateur le circuit neuronal correspondant à ce geste, même si l’observateur reste entièrement passif et ne bouge pas. Il existe donc chez les primates des circuits prêts à l’emploi. Pourquoi ne pas imaginer que certaines représentations puissent réactiver des circuits existants inertés et faire redécouvrir des schémas anciens abandonnés ?

- L’interconnexion de circuits droite-gauche. On s’est rendu compte que lorsqu’un patient avait une lésion traumatique dans une aire motrice spécifique (commandant par exemple son bras gauche), il y avait contre-indication à solliciter l’aire controlatérale trop tôt, avant que la lésion ne soit stabilisée (c’est-à-dire que la récupération était meilleure si l’on évitait aussi de trop bouger le bras droit ). Ceci ne peut s’expliquer que si, à travers le corps calleux ou les autres commissures, ne passent pas seulement des informations passives, mais que s’exercent également de véritables interventions. L’intuition de Feldenkrais d’installer des asymétries dans les activités est donc particulièrement pertinente en favorisant ce type d’interaction.

Bien que spéculatives, ces considérations reposent sur des bases scientifiques et médicales solides. Elles ne constituent pas des preuves patentes, mais ce sont des arguments importants pour une reconnaissance du bien-fondé de la méthode Feldenkrais.




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