Hélène Bellet, retraitée de la Faculté de Médecine
JE NE SAIS PAS POURQUOI JE VAIS AU FELDENKRAIS ,
MAIS MON CERVEAU LE SAIT PROBABLEMENT
Hélène Bellet retraitée de la Faculté de Médecine (MCU-PH :
Maître de Conférence des Universités – Praticien Hospitalier).
En fait, après ma thèse à l’Institut du Radium, nous avons
déménagé à Montpellier où je ne pouvais pas faire de physique
nucléaire. Je me suis donc reconvertie à la biochimie médicale.
C’est à dessein que je plagie la phrase d’Alain
PROCHIANTZ : « Je ne sais pas ce que pense mon cerveau, mais mon
cerveau, lui, sait ce que je pense ». C’est dans cet esprit que je
découvre la méthode Feldenkrais, je m’y aventure comme dans une
jungle primaire obstruée par un réseau de lianes denses et
enchevêtrées, que je démêle avec mes doigts (surtout pas de
machette !) délicatement et prudemment pour me frayer un chemin. Je
reste perplexe devant les sensations bizarres et incongrues qui me
viennent au décours des exercices : cette jambe droite qui dépasse
la gauche d’un bon pied, ce tapis qui prend les formes bombées
d’un tonneau, ces membres dont les segments me semblent pliés en
désordre comme ceux d’une araignée morte! La démarche est
complexe, elle paraît plus intuitive que rationnelle, ce qui, au
premier abord, peut susciter des réactions de doute et de
scepticisme, et entrave la mise en place d’un vrai consensus.
Comment réfuter les critiques ? Une approche
scientifique irréfutable serait de réaliser, sur le modèle de la «
evidence-based medecine » américaine, des études randomisées en
double insu pour chaque pathologie présumée curable par la méthode
Feldenkrais. Ceci non seulement fait appel à des procédures lourdes
et à des dépenses prohibitives, mais se heurte aussi, sur le plan
pratique, à une condition irréalisable : le double insu nécessite
l’utilisation d’un placebo. Par quel placebo remplacer une séance
de Feldenkrais ?
Le problème se complique encore quand la méthode
Feldenkrais s’adresse à des sujets sans désordre patent, qui
cherchent simplement à rester en bonne santé et à préserver un
bon équilibre global, physique et psychique. Il n’existe pas à
l’heure actuelle de bonne méthode d’évaluation qui permettrait
de valider la méthode Feldenkrais dans ce type d’application.
Pourtant, même non validée parce que non validable, la méthode
Feldenkrais est prise au sérieux. Pourquoi ?
Feldenkrais a imaginé une activité qui peut être
classée, selon un jugement un peu hâtif, dans la catégorie des
activités « introspectives » comme les diverses techniques de
méditation et la prière, le yoga et d’autres
techniques orientales, etc… qui à la fois libèrent des
préoccupations matérielles immédiates et permettent de réaliser
une sorte « d’état des lieux » du corps et de l’esprit. Mais
contrairement aux activités citées, toutes sciemment orientées,
dirigées, contrôlées, la méthode Feldenkrais reste en retrait
quant aux objectifs. Elle consiste en une mise en situation qui
permet, grâce à un animateur compétent, de rompre des habitudes
viciées ou sclérosantes et d’initier des circuits neuronaux
novateurs. Clairement, elle doit permettre au système nerveux
central « de reprendre la main », probablement par des mécanismes
voisins de modèles avérés comme ceux qui suivent :
- L’effet placebo. On connaît avec
précision l’effet antalgique des placebos, qui est en fait dû à
la sécrétion d’endorphines. D’autres moyens, souvent basés sur
l’affectivité, peuvent aboutir exactement au même résultat. Or
quoi de plus gratifiant qu’une séance de Feldenkrais pendant
laquelle on se penche sur soi-même avec sollicitude, indulgence et
bienveillance ? Il n’est pas irrationnel de penser que cette
inspection longue et minutieuse puisse s’accompagner de
modifications bénéfiques des concentrations de neurotransmetteurs,
peptidiques ou autres.
- Les neurones miroirs. Regarder quelqu’un
exécuter un geste qui est familier allume chez l’observateur le
circuit neuronal correspondant à ce geste, même si l’observateur
reste entièrement passif et ne bouge pas. Il existe donc chez les
primates des circuits prêts à l’emploi. Pourquoi ne pas imaginer
que certaines représentations puissent réactiver des circuits
existants inertés et faire redécouvrir des schémas anciens
abandonnés ?
- L’interconnexion de circuits droite-gauche.
On s’est rendu compte que lorsqu’un patient avait une lésion
traumatique dans une aire motrice spécifique (commandant par exemple
son bras gauche), il y avait contre-indication à solliciter l’aire
controlatérale trop tôt, avant que la lésion ne soit stabilisée
(c’est-à-dire que la récupération était meilleure si l’on
évitait aussi de trop bouger le bras droit ). Ceci ne peut
s’expliquer que si, à travers le corps calleux ou les autres
commissures, ne passent pas seulement des informations passives, mais
que s’exercent également de véritables interventions. L’intuition
de Feldenkrais d’installer des asymétries dans les activités est
donc particulièrement pertinente en favorisant ce type
d’interaction.
Bien que spéculatives, ces considérations reposent
sur des bases scientifiques et médicales solides. Elles ne
constituent pas des preuves patentes, mais ce sont des arguments
importants pour une reconnaissance du bien-fondé de la méthode
Feldenkrais.
Article paru initialement sur le site : © 2012 Feldenkrais France. All Rights Reserved.